Première Rando en Bolivie

Nos cours d'Espagnol sont maintenant finis, il nous reste quelques jours à passer à Sucre et nous avons envie de sortir de la ville pour découvrir la campagne de cette région. Et puis après une semaine sur les bancs de l'école il va falloir qu'on se dégourdisse un peu les jambes, une rando sera donc parfaite.

Dans le bus de retour pour SucreDepuis Sucre une des randos les plus recommandées monte au cratère de Maragua. Maragua (ou Marawa en Quechua) est un petit village Jalq'a posé au centre d'un cratère dont à priori on ne connait pas bien l'origine (éruption, météorite ?)

Cette rando nous tente bien, d'autant plus que c'est dans cette région que sont fabriqués les tissus dont nous nous sommes acheté un exemplaire.
Il y a plusieurs circuits possibles, de 2 à 4 jours. Nous optons pour celui de 2 jours car il nous tarde également d'explorer d'autres régions de la Bolivie.

Cette rando peut se faire par soit même, la difficulté réside principalement dans le trajet entre Sucre et le point de départ du chemin. Cependant nous avons opté pour partir avec un guide qui parle Quechua et qui propose de passe la nuit à Maragua chez l'habitant plutôt que dans les cabanes disponibles pour les touristes. C'est une manière d'avoir un aperçu réel de la vie des gens sur place, ça nous tente.



Mais avec quel guide partir ?

Nous avions initialement prévu de partir avec Condor Trekkers, la référence à Sucre pour les treks qui impliquent les populations locales. Le problème c'est qu'il fallait être 3 pour partir et que la veille du départ nous n'avions toujours pas le 3ème. Cependant, entre temps nous avions rencontré Ana.

Après 4 mois de voyage, la cuisine Française commençait sérieusement à nous manquer (il faut dire que la cuisine pour l'instant n'était pas très variée et travaillée). Nous avions appris qu'à Sucre il y a un restaurant Français, le Petit Parisien, tenu par Christian, le fameux petit Parisien, et Ana, sa femme Bolivienne.
Quand on rentre au Petit Parisien c'est exactement l'idée que l'on se fait de rentrer dans un petit troquet à Paris: petites tables avec nappes à carreaux et verre Pirex, le fond sonore c'est du Brel ou du Brassens et Christian est assis au fond de la salle, une clope au bec, un petit verre de rouge et pas un mot d'Espagnol. Christian c'est le Français râleur par excellence, chauvin mais au fond super sympathique. Tellement chauvin que quand un couple d'Allemand entre dans son resto et ne parle que que quelques mots d'Espagnol, il s'en fout et ne leur parle qu'en Français. Pas très commerçant comme attitude, mais on a bien rigolé !
Donc nous voilà avec Christian, Ana et leur fille devant un bon pain, un plateau de fromages, des rillettes de poulet le tout maison et une bonne bouteille de rouge (les Bolivien font de très bons vins !). La cuisine est délicieuse, comme au pays comme dirait l'autre !
On discute, on boit, on fume, on rigole et quand nous arrivons au digeo, Ana nous dit qu'elle est guide touristique de métier et qu'elle propose le trek pour Maragua à des prix imbattables.
Quand on voit Ana, une petite femme extravagante, on l'imagine mal en randonnée, mais bon, on repars éméchée en promettant de réfléchir à leur proposition.
On revient quelques jours après pour confirmer.

Les randonneurs

Le trek

Rendez-vous à 8 heures pour charger les sacs. Si Ana fait des bons prix pour ce trek c'est qu'elle propose un tour à la manière locale : transport, bouffe et logement comme si nous étions Bolivien.
Le premier transport qui doit nous emmener au départ de la rando est un camion à bétail et le bétail en l'occurrence se sont des humains et leurs marchandises. La région où nous allons est très mal desservie par les transports en commun et ce camion est la seule solution pour partir le matin. On prend donc place dans le camion avec une trentaine d'autres personnes, des paysans et des ouvriers de mines, hommes et femmes, jeunes et vieux. Nous voilà partis pour 1h30 de trajet. L'expérience est authentique et on adore ça partager la réalité des locaux.

Dans le cul du camion

Notre bus
                            
Prêt pour le départ

Le camion nous dépose au départ de la rando, le premier tronçon de 5 km qui descend dans la vallée emprunte une section d'un chemin Inca un peu réaménagé. D'ici on voit notre point d'arrivé sur le versant d'en face. Ana est parfaite, elle nous donne des infos sur les plantes et les villages que nous rencontrons, nous parlons de la Bolivie et de ses opinions et apprenons beaucoup de choses.

Premier tronçon de la rando sur le chemin des Incas Deuxième tronçon de la rando

Nous pique niquons dans la vallée avant de monter les 15 km de l'autre versant. Sur cette piste on croise quelques petits hameaux de maisons d'adobes. Certaines sont en bien meilleurs état et sont enduites à la chaux blanches, nous apprenons que c'est dû au président Morales : pour améliorer le niveau de vie dans les campagne il a financé ces maisons, le deal: je vous fournis le matos et vous la construisez vous même.
Nous arrivons au village sur les coups de 18h00.

Des champs en terrasses

                                    

Panorama à 360°C du cratère

Une nuit chez l'habitant

Ana a un accord avec une famille qui vit à l'entrée du village et qui lui propose une pièce pour y faire dormir les touristes qu'elle emmène ici.
Nous arrivons donc chez (La) Severina, son mari et sa belle-sœur. C'est un ensemble de petites battisses en adobe qui entourent une petite cour où sont étalés le maïs issu de leur récolte. La majorité des bâtiments servent à protéger le bétail: moutons et poulets. La maison se résume à 3 pièces d'environ 10 m², une pour le garde manger, une pour les gens de passage et une où dorment les 3 occupants. Il n'y a pas de toilettes ou de salle de bain, la cuisine principale est au feu de bois, dehors sous un appentis et il y a un feu au gaz d'appoint. Severina et sa famille parle uniquement le Quechua et Ana s'occupe de nous faire la traduction.

           Un tapis de maïs      Chez Severina

Ce soir là c'était Inti Wataya (le nouvel an Aymara, la culture Quechua). La fête était donc prévue dans le village avec veillée jusqu'au levé du soleil sur la montagne pour célébrer ce nouveau jour de l'année. Ça sera sans nous, nous sommes claqués et devons faire le chemin retour le lendemain. Nous allons quand même y faire un tour après manger mais le sommeil nous gagne vite et rentrons préparer nos lits : des matelas de pailles, des peaux de moutons et le tout est recouvert de couvertures. Un peu dur mais ça ira. Nous nous endormons aux bruits des tambours de la fête.

La voie lactée à la veille de l'hiver

A notre réveil, pendant le petit déjeuner Severina et son mari rentrent de leur nuit blanche avec de petits yeux. Severina prend son petit déjeuner avec nous et se laisse aller à la discussion.

Préparation du dîner

"J'ai souffert car je n'avais pas de connaissances"

SeverinaCette femme au visage buriné par le soleil, marqué par ces petits yeux vifs et intelligents et où se dessine un petit sourire permanent qui semble dire "même si c'est dur, ça vaut le coup de voir le bon côté des choses" nous a marqué.
Assise avec nous sur son petit tabouret nous en sommes venu à parler de nos études et de celles de ses enfants.
Severina n'a pas pu étudier et a toujours vécu dans la misère de ces campagnes. Elle a 3 enfants et a consacré sa vie à faire son possible pour qu'ils aillent faire des études (qu'ils ont tous les 3 réussi).
Faire son possible dans ce cas, ça veut dire aller toutes les semaines à Sucre quelques jours, en dormant dehors pour vendre de la nourriture dans la rue. Quand on voit le nombre de vendeur qu'il y a dans la rue à Sucre on imagine que la compétition est rude.
Lorsqu'elle nous raconte ça ses yeux s'embuent car elle a porté ça toute seule, sans son mari. Ce travail était illégal, elle passait donc son temps à fuir la police. Elle vendait ses plats 5 Bolivianos (1 €=8 Bls), on imagine donc le travail que ça représente pour absorber le voyage pour aller à Sucre, la matière première et pour enfin dégager ce qu'il faut pour payer les fournitures, la paperasses, les inscriptions ... de ses trois enfants. C'est le sacrifice d'une vie et un travail de titan qu'elle a réussi seule pour ses enfants. Et cela nécessite un moral d'acier, car en plus de surmonter la fatigue il faut faire face à la discrimination qu'on vécu ses enfants car ils paraissaient inévitablement pauvres à l'université, mais également la jalousie de ses voisins qui lui répétaient sans cesse que ce qu'elle faisait était vain.
Comme elle le dit, aujourd'hui que ses enfants sont garagiste, informaticien et infirmière sa voisine ne dit plus rien ...
Severina nous raconte ça avec de la douleur et de la fierté dans la voix, et avant de partir nous avoue que si elle a souffert c'est parce qu’elle n'avait pas de bagage scolaire.

Cette discussion nous a touchée. 

En France aujourd'hui nous constatons que nous manquons de paysans et d'artisans parce qu'on oriente systématiquement les enfants vers des études supérieures. On imagine très bien que ce besoin de guider les enfants vers les études découle d'une situation dans le passé similaire à celle que nous venons de rencontrer, où les travaux manuels étaient synonymes de pauvreté et de mauvaises conditions. On imagine très bien également que des pays comme la Bolivie vivent ce que nos arrière-grand-parents ont vécus et nous en connaissons les conséquences : des savoirs faire qui disparaissent, des exploitations agricoles à grande échelles bourrées de pesticides et de semences industrielles, des étudiants sur-diplômés qui ne trouvent pas de boulots, des cadres de 50 ans au chômage pour la fin de leur vie ... La conclusion sera ici comme elle l'est aujourd'hui chez nous, il faut trouver un moyen de revaloriser le savoir paysans et manuel afin de ne pas les perdre car il font partis de l'équilibre global d'une société.

Posts les plus consultés de ce blog

Sur Chico : Petite série de déconvenues